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Le vocabulaire : pour dire et lire

C’est-à-dire qu’ils ne possèdent pas tous la même quantité d’information. Certains, par leur seule apparition, vous conduisent tout droit à un sens précis et unique ; d’autres au contraire laissent planer le doute. Il y a donc des mots plus « lourds » que d’autres. Par exemple, le mot « brutaliser » est plus « lourd » que le mot « battre ». Plus lourd de forme, mais aussi plus puissant en information. En ce qui concerne la forme, il suffit de comparer le nombre de syllabes respectif de chacun de ces deux mots pour se rendre compte que les quatre syllabes de « bru-ta-li-ser » pèsent plus lourd que les deux seules de « ba-ttre ». Pour ce qui est de l’information respectivement apportée par l’un et l’autre, on note la même différence de force : « un cœur bat, », « le pique bat le cœur », « on bat un tapis », on peut même « battre la campagne », et le mari violent « battre sa femme ». Utilisé avec ou bien sans complément d’objet direct, le verbe « battre » possède un éventail d’acceptions infiniment plus étendu que le verbe « brutaliser ». Seul un être vivant peut en effet brutaliser un autre être vivant et le type de comportement évoqué par ce verbe varie fort peu : quel que soit le contexte, il s’agit de porter physiquement atteinte à quelqu’un. Le verbe « battre », pour sa part, apparaît dans un nombre de contextes beaucoup plus important que « brutaliser » et, dans chacun de ces contextes, il a une signification sensiblement différente de celle qu’il a dans les autres. Contrairement à ce que l’on pourrait en conclure, le verbe « battre » apporte une information beaucoup plus faible que le verbe « brutaliser », parce que son identification laisse planer un doute important sur le sens qu’il a dans la phrase dans laquelle il est utilisé : « parmi les nombreuses significations du verbe « battre », de laquelle s’agit-il ? » Et ce doute, seul le recours au contexte pourra le lever. « Brutaliser », au contraire, conduit directement à une signification précise que le contexte ne modifiera que faiblement.

L’exemple du mot « table » fera encore mieux comprendre ce que l’on appelle la dépendance contextuelle, c'est-à-dire l’apport quasi indispensable du contexte dans la compréhension de certains mots. Le nombre de phrases ou d’expressions dans lesquelles on peut l’utiliser est considérable : « table de bois », « de verre », mais aussi « table de la loi », « de multiplication », mais encore « plaisirs de la table »… Quel est alors le poids informatif réel du seul mot « table » hors de tout contexte ? Il est évidemment très faible ; il est tellement faible que sa signification tient au moins autant aux mots qui lui sont associés (« loi », « multiplication », « plaisirs »…) qu’à lui-même. A la seule audition du mot « table », l’auditeur reste perplexe et en attente de ce que la suite va lui permettre de se représenter : sa compréhension dépend plus du contexte que du sens propre de ce mot.

Comparé à lui, le mot « guéridon », certes plus long, jouit d’une capacité de précision infiniment plus importante. Lorsqu’on entend « guéridon », on ne se demande pas quel type d’objet il convient d’afficher dans notre tête, sa référence est évidente ; la seule interrogation peut concerner sa taille, sa couleur : un guéridon, c’est un guéridon ! Le poids d’information d’un mot est ainsi inversement proportionnel au nombre de contextes différents dans lesquels il est susceptible d’apparaître. Plus la fréquence d’utilisation d’un mot est grande, moins son pouvoir d’information est élevé : « table » possède une puissance d’information beaucoup plus faible que « guéridon » et une fréquence plus grande d’utilisation.

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