Table des matières

Les fondamentaux de l’enseignement explicite

  1. Une conception active du rôle de l’enseignant

L’enseignement explicite est fondé sur une conception active du rôle de l’enseignant.

Hattie (2022) rappelle que, du point de vue de l’enseignant, l’enseignement explicite signifie qu’il va en classe en sachant qu’il est le moteur du changement et que cela s’oppose à une conception, répandue par ailleurs, où l’enseignant est vu comme un simple facilitateur : «Ce que je constate, c’est que les enseignants qui se rendent en classe en sachant qu’ils sont les agents du changement sont plus susceptibles de réussir que ceux qui s’y rendent en pensant qu’ils sont un guide sur le côté».

C’est donc l’enseignant qui mène le jeu, qui enseigne, supervise, interroge ou encore, donne des feed-back. Il sollicite constamment les élèves et vérifie leur niveau de compréhension. Dans leur état de l’art sur l’efficacité de l’enseignement, Muijs et al (2014) rappellent d’ailleurs qu’il y a beaucoup de discours enseignant dans les classes des enseignants efficaces, tout en précisant que ce discours tient dans le fait de questionner, de donner des feed-back plutôt que dans le fait de délivrer de longs cours magistraux10.

  1. Une réflexion sur le contenu à enseigner et son découpage (analyse de l’activité)

L’enseignement explicite repose sur l’idée qu’il faut partir du simple pour aller vers le complexe. Il s’agit de repérer préalablement les étapes nécessaires à l’acquisition d’une notion en déterminant quelles sont les différentes habiletés impliquées. La compétence ou le savoir à acquérir sont divisés en sous-éléments qui seront enseignés spécifiquement. Par exemple, acquérir un raisonnement scientifique expérimental nécessite, entre autres, de comprendre la notion de contrôle des variables (i.e. ne faire varier qu’une seule variable à la fois pour être sûr que c’est bien celle-là, et non une autre, qui provoque des changements dans le phénomène observé, « toutes choses égales par ailleurs »). Il faut donc enseigner spécifiquement cette habileté (Martella & Klahr, 2020). Concernant la résolution de problèmes, plutôt que de la considérer comme une compétence générale qui ne peut être travaillée que globalement, on peut identifier les éléments constitutifs, des étapes ou encore des heuristiques et enseigner explicitement. Par exemple, on peut utiliser les heuristiques identifiées par Polya (1945)11 telles que l’analogie (e.g. «Peux-tu trouver un problème analogue à ton problème et le résoudre?»), la généralisation (e.g. «Peux-tu trouver un problème plus général que ton problème?»), etc.

Généralement parlant, le fait d’enseigner explicitement un contenu, plutôt qu’implicitement, renvoie à la spécificité de l’apprentissage et intègre l’idée que l’activité pédagogique proposée va être explicitement focalisée sur l’acquisition d’une connaissance spécifique (Connor, Morrison & Slominski, 2006)12. Il s’agit donc de faire correspondre une activité particulière avec un objectif d’apprentissage particulier. Ainsi, par exemple, apprendre des comptines ne constitue pas un enseignement explicite de la conscience phonologique, à l’inverse d’un travail sur la suppression du phonème initial ou final de mots. En revanche, cela pourrait devenir un apprentissage explicite de rimes si l’enseignant dirige la séance sur la poésie. De même, poser des questions de compréhension sur un texte ne constitue pas un enseignement explicite de la compréhension de textes, ce qui nécessiterait d’enseigner spécifiquement des habiletés constitutives de la compétence en question.

L’enseignement explicite, ce n’est donc pas « apprendre à l’occasion de », apprendre par simple immersion. Évidemment, le but reste la maîtrise de la compétence la plus élevée. Une fois maîtrisés, les éléments appris de manière spécifique sont synthétisés et mis au service d’une pratique générale. Ainsi, pour un sportif, s’entraîner à produire un geste spécifique n’a de sens que s’il peut le réinvestir dans la pratique générale de son sport et au service de sa performance. De même les élèves doivent réinvestir leurs acquis spécifiques dans des activités complexes, de transfert, « authentiques », etc. qui sollicitent l’utilisation et la coordination des éléments appris. Notons d’ailleurs que la réalisation de ces activités complexes sera d’autant facilitée que les sous-habiletés nécessaires auront été préalablement automatisées, libérant ainsi des ressources cognitives pour le problème à traiter.

  1. Une manière de structurer les séances d’enseignement

« L’enseignement explicite fait référence à un ensemble d’approches dirigées par l’enseignant, axées sur une démonstration par l’enseignant suivie d’une pratique guidée et d’une pratique indépendante. » (Education Endowment Foundation, 2022)

. On peut distinguer cinq grandes phases dans le cours de la séance.

  1. La première phase est l’ouverture de la séance.

L’enseignant précise ses objectifs, attire l’attention des élèves sur les notions essentielles à maîtriser afin qu’ils puissent maintenir un but en mémoire et focaliser leur attention sur les points-clés de l’apprentissage à réaliser. Les élèves peuvent ainsi sélectionner l’information importante et inhiber l’information superflue. Il s’agit donc d’orienter l’attention des élèves, ce qui a le double bénéfice de limiter les informations à maintenir en mémoire de travail et de faciliter le transfert en mémoire à long terme. La mémoire est en effet un ensemble de systèmes de projection de l’information dans l’avenir (Dehaene, 2018). Autrement dit, le cerveau retient ce qu’il anticipe être important pour le futur. Durant la phase d’ouverture, l’enseignant réactive aussi les connaissances préalables pertinentes, ce qui va faciliter les connexions entre information ancienne et information nouvelle. Il s’agit de créer un moment intense : l’enseignant ne se contente pas de dire « Vous vous souvenez de X?»; il interroge les élèves : «Dis-moi ce que nous avons vu la dernière fois», «Qu’était-il important de retenir», «Comment X était-il lié à Y», «Quelqu’un peut-il préciser ce que Untel vient de dire?», etc.

  1. La deuxième phase, dite de « modelage »

(« Je fais ») est celle au cours de laquelle l’enseignant fait une démonstration de l’objet d’apprentissage, expose les notions essentielles à apprendre. Il donne des exemples et des contre-exemples qui permettent de cerner les propriétés essentielles de l’objet. La clarté du propos est essentielle et il convient que l’enseignant évite les digressions, qu’il explore la notion de façon à la fois riche, précise et concise. Il réalise une tâche devant les élèves tout en décrivant ce qu’il fait pendant qu’il le fait « en mettant un haut-parleur sur sa pensée ». Il fait généralement pour cela une utilisation privilégiée des exemples résolus (worked examples). Durant cette phase, l’enseignant peut aussi demander aux élèves de démontrer à leur tour, ou de l’aider dans sa démarche de démonstration : « Comment je fais ensuite ?» (Gauthier, Bissonnette et Richard, 2013).

  1. La troisième phase est celle de pratique guidée

(« Nous faisons ensemble »). Le but de cette phase est que les élèves progressent dans la compréhension de l’objet d’étude et qu’ils s’entraînent à le pratiquer en collectif (parfois en équipes). Les formes peuvent être variées (oral, brouillon, ardoise, tableau, enseignement réciproque, etc.). Au cours de cette phase, l’enseignant dirige et accompagne fortement le travail. Il questionne constamment les élèves, fournit des feed-back systématiques, s’assure que les élèves maîtrisent progressivement la notion. Là encore, il s’agit d’un véritable guidage précis par l’enseignant : vérifier la compréhension ce n’est pas se contenter de dire « Ça va?», «Tout le monde a compris?». Il s’agit de s’en assurer véritablement : « Peux-tu répéter avec tes mots ? », « Pourquoi la solution proposée par Untel est-elle bonne ? », « Explique comment tu es arrivé(e) à cette solution », etc. (Bocquillon, 2020; Bocquillon, Derobertmasure & Demeuse, 2021). L’enseignant interagit avec les élèves mais les fait interagir entre eux aussi.

  1. La quatrième phase est celle de pratique autonome

(« Vous faites tout seuls »). Les élèves réalisent des exercices individuels ou en groupe, sans l’aide de l’enseignant. Cette phase n’est lancée que lorsque, dans la précédente, l’enseignant s’est assuré que la grande majorité des élèves a acquis un bon niveau de compréhension. La pratique autonome doit permettre aux élèves de vérifier leur propre niveau de compréhension et d’assurer une dose importante de pratique, qui améliorera la fluidité et favorisera l’automatisation. Le fait que les exercices soient censés être réalisés sans l’aide de l’enseignant ne signifie pas qu’en pratique celui-ci n’intervient jamais. L’enseignant continue à superviser l’activité, il circule entre les tables, « visite » les élèves et peut donner encore, si besoin, de courtes explications.

  1. La cinquième et dernière phase est celle de clôture

où l’enseignant synthétise, avec l’aide éventuelle des élèves, ce qu’il faut retenir, annonce de manière très brève la prochaine séance et indique le travail à faire à la maison qui contribuera lui aussi à consolider les apprentissages et à favoriser l’automatisation. Le travail à réaliser à la maison est toujours un réinvestissement de ce qui a été appris et maîtrisé en classe. Il est pensé pour éviter le risque d’augmenter les inégalités entre élèves. Tout au long de chaque séance, il est conseillé d’enseigner avec un rythme soutenu. Cet élément peut sembler étonnant dans la mesure où le temps est évidemment nécessaire aux apprentissages et, en particulier, à l’acquisition de connaissances profondes. C’est, paradoxalement, pour cette même raison que le rythme doit être soutenu : pour optimiser le temps d’apprentissage scolaire. Notons bien que le rythme rapide correspond à celui d’une séance et que celle-ci a dû faire l’objet d’un calibrage précis de la notion à enseigner. Cela favorise l’avancée à un rythme rapide puisque, d’une part, le propos peut être concis (notamment dans la phase de modelage) et, d’autre part, les élèves ne sont pas submergés par la quantité d’informations à assimiler en une seule fois. Evidemment, cela ne doit pas se faire au prix d’un apprentissage de surface ; l’enseignant doit libérer le temps nécessaire pour que les élèves réfléchissent et s’approprient la notion, mais jamais à un rythme si lent que les élèves s’ennuieraient (Archer & Hughes, 2011). Et puis, la compétence à acquérir se construit au fil des séances, rarement en une seule séance. Un des éléments qui distinguent l’enseignement explicite d’autres formes d’enseignement est qu’il intègre, à travers l’ensemble de ses phases (rappel des notions antérieures, modelage, pratique guidée, pratique autonome et révision) la nécessité d’un surapprentissage qui va continuer à parfaire la compréhension, l’automatisation et la mémorisation à long terme.

Document source :

L’enseignement explicite : de quoi s’agit-il, pourquoi ça marche et dans quelles conditions ?

Texte rédigé par Pascal Bressoux, professeur à l’université Grenoble Alpes

Publié par le Conseil scientifique de l’Éducation nationale

https://www.reseau-canope.fr/fileadmin/user_upload/Projets/conseil_scientifique_education_nationale/CSEN_Synthese_enseignement-explicite_juin2022.pdf

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